mardi 23 septembre 2014

Le réveil du Grand Ancien (Première partie)


Il y a presque deux ans de cela déjà, je me fendais d'un billet plein d'espoir au sujet de la future édition de Donjons & Dragons.

A l'époque, on parlait de Monte Cook pour diriger l'équipe de créateurs chargés de concevoir la nouvelle édition de l'ancêtre. En réalité, Cook n'a pas tardé à quitter l'équipe et la direction des travaux a été confiée à Mike Mearls.

A priori, la nouvelle n'était guère encourageante: Mearls a participé très activement au développement de la quatrième édition qui, sans vouloir polémiquer, ne correspondait pas du tout à ma vision de Donjons & Dragons. Et avant de travailler pour Wizards, Mearls avait collaboré avec Malhavoc (la boîte de Monte Cook). Ses créations de l'époque (Iron Heroes et Book of Iron Might, notamment) se distinguaient à la fois par leur inventivité en matière de règles et par leur "crunchiness". Ce goût de la complexité ne présageait pas non plus une évolution très positive.

Mais en suivant les articles de "Legends & Lore" qui traitaient de la conception de D&D5, j'ai rapidement compris que Mearls était aussi (et surtout) un fin connaisseur et un grand fan de l'univers de Donjons & Dragons.

Un univers bien particulier

Car contrairement à une idée reçue, avant même d'être un recueil de règles, D&D est avant tout un univers. Un univers très particulier, d'autant plus difficile à définir qu'il ne se réduit pas à un cadre de campagne (D&D en a connu plusieurs, en apparence fort différents les uns des autres). C'est plus une ambiance générale, un certain parfum qui transcende les multiples incarnations de D&D. Et de fait, le jeu présente certains invariants qui constituent autant de présupposés liés à l'univers de jeu.
Citons par exemple:
  • l'existence de classes assez rigides et bien définies
  • l'existence d'aventuriers qui forment presque une caste à part entière de la société
  • la magie "vancienne" (avec mémorisation des sorts)
  • le statut paradoxal de cette magie: à la fois très puissante mais curieusement absente de la vie quotidienne des habitants
  • l'existence bien réelle de divinités appartenant à des panthéons différents qui agissent directement ou indirectement sur le monde des hommes
  • le rôle très particulier des prêtres (notamment dans le système de santé ;-)
  • la présence d'un certain nombre de races et monstres emblématiques (qui ne se limitent pas à Tolkien: par-delà les elfes, les orques et les nains, il y a les gnomes, les Yuan-Ti, les Spectateurs, les Hommes-Lézards etc.)
  • la cohabitation de ces races/monstres qui occupent chacun une niche écologique bien précise (elfes noirs/duergar, Orques/Gobelins, Dragons/Kobolds, Illithids/Githyankis/Githzerais etc.)
  • un niveau technologique et sociétal qui embrasse une palette étrange allant de l'âge de bronze au féodalisme
  • l'existence de "donjons" qui laissent invariablement entrevoir des cultures plus anciennes, plus puissantes aussi (on trouve de nombreux artefacts magiques dans ces labyrinthes souterrains)
On pourrait encore allonger la liste mais il est clair que toutes ces caractéristiques font de D&D un univers bien particulier. Adaptable, peut-être, mais certainement pas générique.

Et au fil du temps, cet univers n'a cessé de s'enrichir et de se préciser. Depuis les listes de monstres un peu chaotiques du D&D de 1974 sont apparus de nombreux manuels précisant la nature de ces différentes créatures, leurs inter-relations, leurs religions etc. D'autres volumes ont détaillé la colsmologie de l'univers (divinités, plans d'existence etc.). Tous ces suppléments sont interdépendants et s'appuient les uns sur les autres, approfondissant à chaque fois un peu plus la spécificité de l'univers de jeu.

Ce qui a le plus déplu dans la 4ème édition, à mon sens, c'est le fait que les designers ont voulu ignorer l'histoire et les traditions de cet univers et tenter un véritable "reboot": apparition des dragonborn, disparition de mondes importants (Greyhawk, Planescape, Mystara), transformations radicales d'autres univers (Forgotten Realms), réorganisation des panthéons, transformation radicale du multivers (développé par la gamme Planescape mais présent depuis AD&D1) etc.

Une bonne partie de la défection des joueurs de la 3ème édition s'explique par ce qui s'apparente à une véritable trahison. Par comparaison, l'univers de Pathfinder paraissait bien plus proche de la vision développée par D&D au fil des années. Et je ne parle pas de tous ceux qui se tournèrent carrément vers l'OSR et redonnèrent vie aux versions antérieures de l'ancêtre.

A titre personnel, j'ai profité de cette césure pour revenir à AD&D1, revisiter la gamme de D&D Basic/Expert et tester d'autres systèmes de med-fan comme Wayfarers ou Conan (celui de TSR). L'an dernier, j'ai relancé une grande campagne dans le cadre de Planescape. Mais j'avoue que j'avais plus ou moins renoncé à l'idée de revenir dans le giron des magiciens de la côte.

Mike Mearls a dû comprendre que s'il voulait ressusciter D&D et reconquérir son public, il devait avant tout renouer avec l'univers qui avait été développé de 1974 à 2007. Et sans surprise, le nouveau Player regorge de clins d'oeil et de références au passé de D&D. Ca commence dès les premières pages avec cet avertissement hilarant:

Disclaimer: Wizards of the Coast is not responsible for the consequences of splitting up the party, sticking appendages in the mouth of a leering green devil face, accepting a dinner invitation from bugbears, storming the feast hall of a hill giant steading, angering a dragon of any variety, or saying yes when the DM asks, “Are you really sure?”

Il y a aussi une très jolie dédicace aux prédécesseurs de Mike Mearls:

Based on the original game created by E. Gary Gygax and Dave Arneson, with Brian Blume, Rob Kuntz, James Ward, and Don Kaye
Drawing from further development by J. Eric Holmes, Tom Moldvay, Frank Mentzer, Aaron Allston, Harold Johnson, Roger E. Moore, David “Zeb” Cook, Ed Greenwood, Tracy Hickman, Margaret Weis, Douglas Niles, Jeff Grubb, Jonathan Tweet, Monte Cook, Skip Williams, Richard Baker, Peter Adkison, Keith Baker, Bill Slavicsek, Andy Collins, and Rob Heinsoo

Gygax, Arneson, Holmes, Moldvay, Mentzer, Cook & Cook... Ils sont tous là, les créateurs de D&D.

Et puis, tout au long du texte, on trouve des allusions à des mondes qui ont fait l'histoire de D&D (Greyhawk, Dragonlance), à des lieux (Ravenloft dès la 2ème page) ou à des panthéons que l'on croyait à jamais disparus.

Dès le début, D&D réaffirme la multiplicité des mondes de campagne et le fait que tous sont intégrés dans une cosmologie générale unique:

The legends of the Forgotten Realms, Dragonlance, Greyhawk, Dark Sun, Mystara, and Eberron settings are woven together in the fabric of the multiverse. Alongside these worlds are hundreds of thousands more, created by generations of D&D players for their own games. And amid all the richness of the multiverse, you might create a world of your own.

On ne peut mieux résumer le paradoxe qu'est D&D entre diversité et cohérence d'ensemble!

Cette filiation est réaffirmée dans la description des diverses races: chacune est précédée d'un extrait de livre publié par TSR ou Wizards. Les mauvaises langues diront que c'est une façon de vendre d'autres bouquins mais je ne pense vraiment pas que ce soit le cas. Ce que ces citations soulignent, c'est le fait que D&D5 s'inscrit dans une tradition, une filiation.

Les descriptions de races sont d'ailleurs parsemées d'allusions aux variantes offertes par les différents mondes de D&D. Pour les anciens, c'est un vrai régal que de décrypter ces allusions. Pour les nouveaux, ces termes exotiques constituent un appel au rêve et à l'exotisme.

Entre tradition et innovation: le meilleur des deux mondes ?

Je soulignais dans certains de mes billets précédents que l'OSR avait été en grande partie motivée par un besoin de simplicité qui refaisait la part belle à l'interprétation du personnage. J'ai également mis en évidence le fait que cette exigence n'était pas forcément aussi incompatible qu'on voulait le croire avec la démarche des narrativistes les plus avant-gardistes qui cherchaient eux aussi à mettre l'accent sur le role-play au détriment du roll-play.

CAVEAT: D&D n'est pas un jeu novateur et n'a pas vocation à l'être.

Je préfère le préciser de façon claire et nette. On ne peut pas reprocher à D&D de ne pas avoir aboli les classes de personnages, d'utiliser toujours le système des points de vie, de ne pas avoir de magie "free form"...

Ces critiques étaient (peut-être?) valides lorsque D&D était le seul jeu de rôle. Mais cela n'a pas duré longtemps. Dès 1978 sortait Runequest et ce qui allait devenir le système Chaosium, un système tellement intuitif et brillant qu'à ce jour, il n'a quasiment pas changé. Depuis, bien d'autres ont suivi et couvrent les besoins de toutes sortes de joueurs, des fans de simulation poussée aux partisans du rule-light.

D&D n'a jamais eu vocation à être autre chose que D&D. Un jeu qui se définit justement par tous les particularismes de son univers: donjons, classes de personnage, magie vancienne, races et monstres étranges et variés...

Jouer à D&D, c'est rechercher un plaisir très particulier, qui conjugue familiarité et découverte. Ce que je veux dire par-là, c'est qu'une partie du plaisir est de se glisser dans un rôle et un univers familier: tout le monde sait ce qu'est un guerrier, un mage ou un prêtre à D&D. Par delà les changements de règles, il y a un habitus donjonnesque. L'idée est d'utiliser ces archétypes bien connus pour introduire ensuite des changements ou des variantes et surprendre les joueurs. C'est d'ailleurs ainsi que sont conçus la plupart des mondes de D&D.

Mearls ne déroge pas à la tradition. Tous les marqueurs de D&D sont là: classes, races, caractéristiques sur 18, magie vancienne etc. On est en terrain familier. Si l'on compare D&D à un morceau de musique, on pourrait dire que la mélodie est la même. Ce qui change beaucoup, en revanche, c'est le rythme.

Un effort de simplification

D&D3 avait effectué un toilettage des règles qui s'était hélas fait au détriment de la simplicité. A ce sujet, je renvoie à mon billet précédent:


Soyons clairs: ce qui plombait D&D3 (et ses alter égo), c'était principalement les dons qui introduisaient autant d'exceptions et de complexité. Ce n'était pas si grave pour les joueurs (qui n'en avaient pas tant que cela) mais c'était un véritable cauchemar pour le MJ qui se retrouvait à gérer des monstres aussi compliqués que des tableaux de bord de Boeing 747.

D&D4 avait déjà fait un effort de simplification au niveau des monstres.Mais D&D5 va beaucoup plus loin. Dans cette version du jeu, les dons sont optionnels (on peut en sélectionner un au lieu d'augmenter une caractéristique) et réservés aux joueurs. Du coup, il y en a nettement moins à connaître. Et ça change tout. Une description de PJ ou de monstre est claire, limpide. On voit tout de suite de quoi il est capable. Et cela rend la création (et l'improvisation) d'adversaires beaucoup plus aisée.

Ce souci de simplification est omniprésent: on le retrouve par exemple au niveau des compétences (il n'existe que deux "niveaux": proficient ou pas et que trois modificateurs: avantagé/neutre/désavantagé). Certains trouveront que c'est un appauvrissement impardonnable. Quant à moi, je trouve cela tout bonnement génial. Car je demeure convaincu que ce n'est pas la complexité des règles qui ajoute au plaisir du jeu mais bien leur efficacité. En d'autres termes, je préfère un jeu rythmé à un jeu précis.

Tout est à l'avenant: il n'y a par exemple plus qu'une échelle unique pour quantifier l'évolution du personnage, qu'il s'agisse de ses compétences, de ses capacités de combat ou de ses jets de protection. Ce qui change, c'est juste de savoir s'il est proficient ou pas. Autant dire que la création de PNJ s'en trouve elle aussi nettement simplifiée!

Dans la même veine, le chapitre sur l'équipement présente des packages, que ce soit pour s'assurer un mode de vie pendant un temps donné ou pour acheter un kit d'équipement lié à sa profession.

Un jeu axé sur le role-play plus que sur le roll-play

Une autre simplification apparaît en matière de combat: exit les figurines qui étaient passées insidieusement de facultatives (ed 3.0) à recommandées (3.5) à obligatoires (4). Certaines mauvaises langues n'avaient pas manqué de remarquer que cette évolution s'était accompagnée d'un développement sans précédent de la gamme de figurines de Wizard.

Et bien, si rien ne vous empêche de faire joujou avec vos figurines, elles sont devenues totalement optionnelles. Cette fois-ci, la priorité est donnée au fameux "theater of the mind". En d'autres termes, le combat est totalement narratif. C'est à la fois un gage de simplification ET de role-play.

Mais l'effort ne s'arrête pas en si bon chemin. Pour la première fois dans l'histoire de D&D, le background des Pjs (qui est copieusement détaillé) a des conséquences directes en termes de jeu. On n'est évidemment pas dans un jeu narrativiste mais un effort réel est fait pour encourager le role-play et la créativité.

Cela transparît dans l'apparition des "personal characteristics" qui se divisent en Personality traits, Ideaux,  Liens et Défauts. Jouer ces caractéristiques permet de gagner l'inspiration, c'est à dire de la chance (concrètement, on "dépense" cette inspiration pour gagner l'avantage lors d'un jet). Simple mais très sympa.

On trouve aussi une petite nouveauté sous la forme des backgrounds (déjà utilisés par Mike Mearls dans son jeu Iron Heroes). Ils définissent le passé du personnage et lui accordent quelques menus avantages. C'est une très bonne façon de customiser son PJ, de lui donner une couleur un peu différente. Pour chacun de ces backgrounds, on trouve des suggestions de "personal characteristics" adaptées. C'est un peu le retour des kits de la 2ème édition mais c'est compris dans le livre de base. Et c'est complètement optionnel.

Dans le même esprit, il y a aussi une table très sympa qui propose une liste de babiole que le Pj peut avoir acquis avant de partir en aventure. La plupart de ces objets constituent à la fois une signature pour le PJ et une amorce d'aventure possible si le MJ le désire. Encore bien vu !

Un jeu décomplexé

Le plus étonnant dans tout ça, c'est qu'en dépit de la pression énorme qui devait peser sur les épaules des désigners de D&D5, on a là un jeu complètement décomplexé qui n'a qu'un seul but: offrir aux lecteurs le meilleur de D&D. On sent bien que chaque fois, Mearls et son équipe ont cherché ce qu'il y avait de plus simple et de plus fun de façon à favoriser la fluidité et le role-play.

C'est peut-être aussi grâce aux retours de près de 100.000 play-testeurs. Jamais un jeu de rôle n'avait été play-testé aussi longtemps. Il y a eu pas moins de 11 versions différentes soumises à la sagacité des joueurs du monde entier.

C'est un jeu écrit par des fans pour des fans. Et ça se sent. Il émane du texte une fraîcheur et un enthousiasme qui faisaient cruellement défaut, ces temps-ci. Le souffle de l'aventure. L'envie de sortir ses dés, de tirer de nouveaux persos et de partir une fois de plus sur les routes d'Oerth, de Faerun ou de Toril.

Et le plus beau, c'est que le jeu est suffisamment simple pour qu'on puisse sans complexe tirer avantage de nos ludothèques. Pas besoin de passer une après-midi entière pour convertir tel ou tel monstre, objet magique ou PNJ issu de la campagne Underdark, de Ravenloft ou de Jakandor.

Ca aussi, ça fait partie de ce que j'appelle l'atmosphère décomplexée de D&D5. Ce n'est plus un jeu d'avocat tatillon qui encadre les règles et bride la créativité.

Because the DM can improvise to react to anything the players attempt, D&D is infinitely flexible, and each adventure can be exciting and unexpected.

D&D5 est un jeu qui dit au MJ: voilà des règles qui permettent de gérer 80% des cas de figure. Pour les 20% restant, c'est à vous de jouer. N'hésitez pas à improviser. Et parce que le jeu est simple, improviser une règle redevient possible.

Voilà qui conclut la première partie de cette critique de D&D5. Après cette première vue d'ensemble, j'aborderai dans une seconde partie certains des changements les plus marquants de cette nouvelle mouture. En attendant, n'hésitez pas à télécharger la version Basic de D&D mise gratuitement à disposition par Wizards. Elle contient de quoi jouer les races et classes les plus emblématiques du jeu du niveau 1 au niveau 20. Et ça aussi, c'est assez élégant de la part de l'éditeur.


Bonnes parties à tous !

jeudi 13 septembre 2012

Jeu de rôle et archétypes



Jeu de rôle et archétypes

A dangerous method, le film de Cronenberg traitant des relations entre S. Freud et C.G. Jung m’avait donné envie de me replonger dans les œuvres de ce dernier. Et en relisant certains de ses écrits, je me suis interrogé sur la pertinence qu'il pourrait y avoir à mêler psychologie analytique et jeu de rôle. Je ne parle pas ici d'utiliser le jeu de rôle dans un but thérapeutique (ce pourrait faire l’objet d’un tout autre article) mais bien de mettre les outils de la psychologie analytique au service d'une expérience ludique.

L’idée n'est pas nouvelle, en fait. Elle fut déjà creusée par les jeux Everway et Deliria dont je reparlerai. Mais sans doute est-il préférable de commencer par définir dans les grandes lignes (et de façon très caricaturale, j’en ai peur) les différents concepts développés par Jung.

La théorie jungienne

Le travail de Jung s'inscrit initialement dans la continuité de celui de Freud qui considère d'ailleurs initialement son cadet comme son dauphin naturel, amené à reprendre le flambeau après sa mort. Mais deux grands sujets de divergence vont rapidement apparaître entre les deux hommes et, au fil des années, creuser entre eux une faille qu'ils ne parviendront jamais à combler et qui aura raison de leur amitié.

D’une part, Jung refuse les explications presque exclusivement sexuelles que Freud donne de l’inconscient, du rêve ou de la névrose. D’autre part, en étudiant les cas de plusieurs patients, il croit distinguer un certain nombre de motifs inconscients qui dépassent la psyché de l’individu et semblent appartenir à un fond commun (qu’il nommera inconscient collectif). Il les baptisera « archétypes ».

Jung retrouve ces archétypes dans toutes sortes de productions mentales humaines: la folie et le rêve, bien sûr, mais aussi l’art, les mythes et légendes, les contes de fées et même l’alchimie ou le tarot. Ce sont des images puissantes venues du fond des âges, traversant notre Histoire et notre imaginaire et formant le canevas même de notre inconscient profond.

Contrairement à Freud, Jung ne voit pas cet inconscient comme un bouillonnement dangereux de la libido dont les surgissements seraient le plus souvent problématiques. Bien au contraire, il préconise un travail constant sur cet inconscient, une écoute attentive de ses manifestations qui peuvent constituer des mises en garde ou même receler des indications sur soi-même. Dans ses passages les plus mystiques, cette appréhension de l’inconscient collectif qui est en nous se rapproche de façon troublante d’une forme de communication divine.

Et le jeu de rôle dans tout ça?

En tant que forme du conte, le jeu de rôle est le lieu privilégié de manifestation des archétypes. Le héros, le monstre, le magicien, le souterrain, l’épée... sont autant de symboles profondément ancrés dans notre esprit, dans notre culture. Chacun de ces symboles renvoie à une infinité de sens qui se mêlent.

Exemple : l’épée. L’image de l’épée renvoie à une foule de notions parfois complémentaires, parfois contradictoires :

·         la violence
·         la protection (l’épée est le symbole de la noblesse, le noble étant initialement celui qui protège, complément de celui qui travaille et de celui qui prie)
·         la Justice (balance dans une main, épée dans l’autre)
·         le serment (jurer sur son épée, faire serment d’allégeance)
·         l’esprit (l’épée comme métaphore de l'intelligence qui tranche, qui sépare les idées)
·         la sexualité (l’épée comme substitut phallique, cf. l’épée entre Tristan et Yseult ou celle que plante Arthur entre Lancelot et Guenièvre)
·         etc. etc. etc.

Tous ces sens sont simultanément présents dans notre inconscient et n'attendent que d'être réactualisés. Le meneur de jeu habile peut utiliser ces non-dits du symbole pour activer chez ses joueurs des réactions semi-conscientes qui seront bien plus efficaces encore qu'une simple description.

C'est exactement ce que fait George Lucas lorsqu'il met en scène l’ultime étape de l’initiation de Luke Skywalker au sein d'une caverne. Pourquoi une caverne plutôt qu'une forêt, par exemple ? Parce que la caverne symbolise les origines et la petite enfance (la caverne est un symbole de l’utérus), mais aussi les forces obscures (forces chthoniennes, enfers) et l’initiation (le mythe de la caverne de Platon). La caverne est aussi une bouche prête à avaler l’imprudent. Elle recèle les ténèbres qui ouvrent tout un nouveau champ symbolique. Etc.

Est-ce à dire que le MJ doit devenir un maître symboliste? Oui et non. Plus il étudiera les archétypes et leurs polysémies, plus il pourra les utiliser de façon consciente pour parler directement à l’inconscient de ses joueurs. Mais il doit aussi et surtout être à l’écoute de son propre inconscient, de sa propre intuition. S'ils lui soufflent que le décor idéal pour une scène est une caverne, il doit se demander pourquoi de façon à pouvoir optimiser la portée de ce symbole.

Quelques outils pour penser les archétypes

A ma connaissance, deux jeux ont consciemment tenté d'utiliser les archétypes afin d'optimiser l’expérience ludique: Deliria (Laughing Pan Productions, 2003) et Everway (Wizards of the Coast, 1995).

Le premier expose un certain nombre d'archétypes qui permettent de définir les principaux rôles que l’on retrouve au sein des contes de fées: la sorcière, le chevalier, la bonne marraine etc. Le joueur peut en choisir un qui guidera son role-play et les choix décisifs qu’il sera amené à faire au cours de sa vie. Cette utilisation des archétypes est finalement assez proche des classes de personnages qui furent utilisées dès les premiers temps du jeu de rôle et qui caractérisaient tout autant des compétences spéciales (capacité de combat, sorts, facultés de voleur etc.) que des rôles proprement dit (le guerrier courageux, le voleur agile et filou, le mage chétif mais redoutable etc.).

Everway va beaucoup plus loin. La création des personnages se fait par libre association, une série d’images permettant au joueur d’imaginer le passé et l’identité de son personnage. Les caractéristiques elles-mêmes sont empreintes de symbolisme. Au nombre de quatre, elles sont appelées Eau, Feu, Terre et Air et font appel à un imaginaire médiéval teinté d’alchimie. Le système aléatoire lui-même (celui qui remplace les dés lorsque le hasard intervient dans la résolution d’une action) repose sur un système symbolique puisqu’il repose sur un tirage de cartes similaires à celles du tarot divinatoire. Le meneur de jeu est alors responsable de la libre interprétation de la carte ainsi tirée (ex : lors d’un combat, tirage pour l’adversaire du PJ de la carte « Lion » inversée, le MJ l’interprète en décidant que, dans ce cadre, le lion est symbole de courage. Blessé, le PNJ s’enfuit donc sans demander son reste).

Le cas d’Everway est un peu extrême. On peut même se demander si on a encore affaire à un jeu de rôle (au sens classique du terme). De fait, la dimension ludique s’efface presque entièrement au profit d’une narration collective qui nécessite une confiance absolue dans le meneur de jeu / interprète du destin. Mais sans aller aussi loin, on peut parfaitement mettre à profit les idées d’Everway dans le cadre d’un jeu plus classique.

Jeu de rôle et tarot

Nombre de jeux l’ont compris, introduisant l’utilisation de cartes de tarot. Pour ne citer que quelques exemples : Maléfices, Lace & steel, Ambre, le décor de campagne de Ravenloft ou encore Chimère dans lequel ce tarot joue un rôle primordial lors de la création du personnage. Il est parfaitement possible d’étendre l’utilisation du tarot divinatoire à d’autres jeux.

Un tel outil peut intervenir lors de plusieurs phases du jeu :

-          la création d’un personnage : un tirage divinatoire peut permettre de développer certaines facettes de la personnalité du personnage, voire même d’anticiper conjointement quelques grandes étapes de sa destinée dont le MJ tiendra compte par la suite lors de la campagne.
-          la création de scénarios : un tirage peut parfaitement servir de catalyseur, faisant naître dans l’esprit du MJ des idées qu’il intègrera dans son scénario ou même évoquer une intrigue complète.
-          en cours de partie, un tirage de carte peut également être utilisé pour pimenter l’aventure à la façon des tables de rencontre d’autrefois ou pour informer le MJ sur l’attitude d’un PNJ par exemple.

Ce type de tirage repose souvent sur l’utilisation des arcanes majeurs (moins nombreux et plus faciles à mémoriser ou à interpréter librement que les arcanes mineurs). Mais les autres cartes peuvent également avoir leur utilité dans le cadre du jeu. Les honneurs (têtes couronnées de chacune des familles) peuvent par exemple être assimilés aux principaux PNJs récurrents de la campagne. Les arcanes mineurs numérotés de 1 à 10 peuvent quant à eux remplacer l’utilisation du d10 ou du d20 (tirage de deux cartes).

De nombreux jeux existent dans le commerce. Parmi ceux que je préfère utiliser, citons :

Médiéval Fantastique : Universal Fantasy Tarot (Lo Scarabeo), Fantastical Tarot (US Games Systems), Hobbit Tarot (US Games)

Fantastique (historique ou contemporain) : Necronomicon Tarot (Ada Editions), Dark Grimoire Tarot (Lo Scarabeo), Archeon Tarot (US Games Systems)

Il en existe de nombreux autres sur des thèmes qui se prêtent parfois bien mieux encore à certains jeux de rôles : tarots Steampunk, Vampires, Dragons, Zombies, UFO etc.

Chacun de ces jeux introduit une imagerie et une sensibilité qui lui est propre mais tous sont bâtis sur le même modèle, ce qui signifie que l’on n’est pas obligé de réapprendre un système symbolique lorsque l’on passe de l’un à l’autre.

En ce qui concerne ces symboles, la place manque ici pour en dresser une liste indicative (on la trouve dans les petits livrets accompagnant les jeux). Si certaines personnes sont intéressées par des interprétations plus axées sur la pratique du jeu de rôle, je pourrai en mettre une à disposition. Elle ne sera qu’indicative, bien sûr, puisque l’intérêt du symbolisme (et par extension du Tarot) est de rester un système ouvert et ré-interprétable à l’infini.

jeudi 12 janvier 2012

I want to believe

Une cinquième édition...
Ou plutôt, une édition "Next".

Aux commandes, Monte Cook qui fut l'un des auteurs les plus incroyables de la période d20. A son actif, Cthulhu d20, Arcana Unearthed/Evolved (qui reste pour moi la meilleure incarnation du d20) ou encore le décor de campagne incroyable de Ptolus.

Monte Cook, un vétéran qui joua un rôle décisif au sein de la gamme Planescape, mon décor de campagne préféré pour AD&D2. Monte Cook qui publia une série d'articles des plus prometteurs au sujet de l'avenir de D&D:


Monte Cook, enfin, qui prétend vouloir réconcilier les différentes éditions du plus vieux des jeux de rôle et retrouver la magie d'autrefois...

Monte Cook qui compte s'appuyer sur les réactions de tous les fans de D&D pour bâtir un jeu modulable, capable de satisfaire aussi bien les amateurs de OD&D, AD&D, D&D3.X ou D&D4.

I want to believe. Et pourquoi pas?

Au niveau des règles, rien d'impossible, après tout. Preuve en est la facilité avec laquelle l'OGL fut refondue pour recréer les anciennes éditions. Pour caricaturer, AD&D, c'est D&D3 sans les Feats, non?

Quant à D&D4, eh bien... Je déteste les Daily/At will/Yearly Powers. C'est une mécanique totalement dissociée de toute narration, de toute logique interne. Je déteste l'obsession égalitariste entre les classes qui fait du Rogue une véritable Machine à tuer (TM). Ne me parlez pas des mécanismes de marquage. Tout cela sent le mécanisme de jeu de plateau complètement artificiel.

Mais si les pouvoirs n'étaient que des options. Si D&D devenait OD&D auquel on ajoutait des options telles que:
- OD&D pur
- OD&D + compétences
- OD&D + feats
- OD&D + pouvoirs

Ce qui n'empêche pas les variantes:
- compétences+feats = D&D3
- compétences+pouvoirs = D&D4

Certes, l'équilibrage sera délicat. Certes, la gestion des extensions le sera tout autant. Mais il y a là l'occasion de ressourcer en profondeur l'ancêtre de tous les jeux.

Reste la question du background. Ma foi... Qui peut le plus peut le moins. Et je veux bien supporter l'option des draconiens et autres eldarins tant que les gnomes sont des illusionnistes naturels..On me dira que cela fait beaucoup de vœux pieux. Certes. Mais plus que jamais, nous avons l'occasion de peser sur ce que deviendra D&D.

Apprenant des erreurs de la quatrième édition et du succès de Pathfinder, D&D nous offre la possibilité de nous exprimer, de peser sur le résultat final:


Saisissons cette chance. Quitte à être déçus. Quitte à déchanter.

Qu'avons-nous à perdre? Rien.

Qu'avons-nous à gagner? Un jeu qui nous permette de nouveau de rêver, un jeu soutenu par une compagnie suffisamment puissante pour produire des mondes de campagne aussi passionnants que le furent en leur temps Empire of the Petal Throne (T$R), Greyhawk (T$R), Forgotten Realms (T$R); Dark Sun (T$R), Raveloft (T$R), Spelljammer (T$R), Planescape (T$R)...

Ironique, non? A l'époque, T$R était le Bill Gates du JDR, le grand-méchant que l'on opposait aux gentils créateurs indépendants. Aujourd'hui, les fans de ces mondes (sans compter Mystara, Al-Qadim et autres) comptent parmi les plus ardents opposants de D&D4. Car l'argent n'est pas l'ennemi du JDR. Les grandes compagnies ont les moyens de payer des concepteurs qui ont le talent et le temps de créer de magnifiques univers et scénarios. Il n'y a qu'à voir le travail de Fantasy Flight Games sur Warhammer 40.000 pour s'en rendre compte.

Alors laissons une chance à D&D. Une dernière chance, peut-être, de nous démontrer que le rêve n'est pas mort, qu'il est encore possible de démontrer à tous les fans de MMORPG que rien, jamais, ne remplacera le JDR sur table et la liberté qu'il recèle.

Je ne sais pas pour vous mais moi, en tout cas, j'ai envie d'y croire.

mercredi 16 février 2011

Vers une typographie des Meneurs de Jeu

Comme pour bien des joueurs, cette image symbolisa dès mes débuts dans le JDR le statut si particulier du meneur de jeu (de "maître du donjon", en l'occurrence). Et force est de reconnaître que cette illustration de Jeff Easley possède une force étonnante.

Qu'y voit-on? Un homme portant autour du cou la clef d'une porte, sans doute celle qu'il est en train d'ouvrir devant nous. Derrière elle (et derrière lui), on devine une cohorte inquiétante de monstres et, plus loin encore, un immense trésor nimbé de lumière. On serait vraiment en mal de représenter de façon plus concise le rôle initial du MJ: dessiner les plans du donjon puis en ouvrir les portes aux joueurs pour les laisser affronter les adversaires qui se trouvent sur le chemin du trésor (et donc de l'expérience et de la renommée).

Evidemment, ce rôle initial s'est vite enrichi d'autres responsabilités: définir le monde de campagne, le peupler de monstres et de PNJs, devenir tour à tour cartographe, législateur, historien, administrateur d'un décor qui ne cesse de grandir au gré des découvertes et des ambitions des PJs... Or cette véritable explosion de l'environnement initial du jeu cache un glissement plus insidieux du rôle du Meneur de Jeu.

Le donjon est un labyrinthe prédéterminé, soigneusement cartographié et donc relativement "objectif" (comprenez en cela que la subjectivité du MJ ne joue théoriquement qu'en amont de la partie, au moment de la conception, lorsqu'il place tel ou tel piège, tel ou tel monstre). Dès que l'on se trouve en extérieur, en revanche, le MJ se trouve rapidement confronté à une évidence: il ne saurait tout prévoir et se trouve rapidement obligé d'improviser.

Pour les joueurs de bas niveau, cette improvisation commence par de petits détails (le nom de la femme de l'aubergiste, le pays d'où provient le dernier chargement d'herbe à pipe...) mais, à mesure que les PJs voyagent et accèdent à de nouvelles responsabilités (possesseur d'un fief, conseiller du seigneur local, maître d'une guilde...), les enjeux et les conséquences de cette improvisation vont aller croissant. Face à cela, deux écoles de pensée se sont très vite distinguées:

- les partisans du monde "objectif" ("top-down"). Pour ces MJs, le contexte du jeu doit, dans la mesure du possible, être fixé avant le lancement de la campagne. Il convient de définir l'ensemble du monde en partant du général pour aller vers le particulier (définition des divinités, des espèces présentes, de la géographie physique, de l'Histoire puis définition de la région de départ, de la ville de départ et des PNJs concernés) de façon à offrir un cadre aussi précis que possible à l'improvisation en cours de partie. Notons au passage que tout MJ utilisant un décor de campagne paru dans le commerce est par définition adepte de cette théorie puisqu'il a accès par avance à l'ensemble du monde de campagne qu'il utilise.

- les partisans du monde "subjectif" ("bottom-up", aussi appelé souvent "sandbox campaign", campagne en bac à sable). Ces MJs développent leur monde presque uniquement en fonction de ce que leurs joueurs ont besoin de savoir. Ils définissent donc un point de départ (ex: un village et quelques lieux d'aventure autour) puis étoffent le monde à mesure que le besoin s'en fait sentir (la ville la plus proche, le fonctionnement du duché, les relations avec le duché voisin, la position géostratégique du royaume etc.). On va là du particulier au général et l'on construit au fur et à mesure la géographie, les relations entre les différents acteurs, les panthéons etc.

Evidemment, cette opposition est quelque peu artificielle: tous les partisans du monde "objectif" se trouvent obligés d'improviser des éléments qui n'ont pas été prévus initialement et tous les MJs adeptes du monde "subjectif" doivent avoir un coup d'avance sur leurs joueurs (et donc une vision un peu plus globale du monde de campagne).

Il est également intéressant de constater que nombre de mondes construits de façon subjective sont devenus de par leur publication, des mondes "objectifs". Ce fut le cas des Royaumes Oubliés ou de Mystara par exemple (ce qui explique entre autres leur étrange géographie qui fait cohabiter déserts brûlants et terres glacées, incohérence qu'évitent la plupart des mondes "objectifs"). Nombre de MJs ont connu le même phénomène en faisant jouer une seconde campagne dans un monde construit initialement de façon subjective.

Je ne m'apesantirai pas sur les avantages et inconvénients de ces deux méthodes qui ont très largement été commentés par ailleurs (pour résumer, on se trouve devant une opposition entre logique/cohérence des mondes "objectifs" et personnalité/authenticité des univers "subjectifs").

Ce qui est intéressant, en revanche, c'est de constater que ce qui est vrai du développement du contexte de jeu l'est tout autant du développement du scénario proprement dit. En d'autres termes, on retrouve une opposition entre:

- les scénarios "objectifs": le MJ prépare à l'avance son scénario de A à Z (que ce soit de façon personnelle ou en s'appuyant sur un scénario du commerce) et connaît d'avance les lieux, les PNJs, les épreuves que les PJs vont traverser.

- le scénario "subjectifs": le MJ improvise la majeure partie de l'aventure de façon à s'adapter aux actions et aux décision des PJs.

Il serait tentant de rapprocher scénarios "objectifs" et mondes "objectifs", scénarios "subjectifs" et mondes "subjectifs" or l'expérience prouve au contraire que l'association des techniques narratives se fait le plus souvent de façon croisée. Il est en effet plus aisé d'improviser un scénario (technique "subjective") dans un univers que l'on connaît parfaitement (univers "objectif"). A contrario, nombre de MJs old-school défendent les mondes "subjectifs" ("sandbox play") mais y font surtout du donjon traditionnel (l'archétype même du scénario "objectif").

On peut dès lors esquisser une typographie des meneurs de jeu:

- monde objectif, scénarios objectifs: le MJ arbitre. Le cadre et le scénario étant fixés par avance, le MJ limite son rôle durant la partie à celui d'interprète (des règles et des PNJs). On trouve dans cette catégorie aussi bien des MJs "architectes" qui aiment construire amoureusement leur campagne par avance avant de la faire "découvrir" à des joueurs que des MJs qui manquent de temps et se contentent de suivre scrupuleusement un scénario du commerce dans le cadre d'un monde "officiel".

- monde objectif, scénarios subjectifs: le MJ improvisateur. Le cadre général étant fixé par avance, ce qui intéresse le plus ce type de MJ, c'est d'improviser dans le respect de cette contrainte pour s'adapter aux envies de ses joueurs. Il affectionne généralement les campagnes longues et cohérentes dont les objectifs sont définis principalement par les motivations des PJs.

- monde subjectif, scénarios objectifs: Le MJ "à l'ancienne". Généralement, il se soucie moins de la cohérence générale de la campagne que de la qualité et de l'originalité des scénarios pris indépendamment et auxquels il consacre l'essentiel de son temps. L'unité provient plus des joueurs eux-mêmes que des scénarios qui sont généralement indépendants et peuvent même être très différents les uns des autres.

- monde subjectif, scénarios subjectifs: Le MJ conteur. Ce qu'il aime, avant tout, c'est la narration collective générée par l'interaction continuelle entre ses joueurs et lui. La cohérence est moins importante que le fun et l'enthousiasme du moment. Il en résulte des campagnes très "free-style" ou oniriques faites d'un enchaînement de grands moments de role-play.

Il ne s'agit là bien sûr que d'une typologie très lâche mais elle devrait permettre à un joueur de se faire une idée du type de campagne auquel il doit s'attendre et de décider rapidement en fonction de ses goûts personnels s'il a ou non sa place à la table de jeu. En effet, à chaque type de MJ correspond un type de joueur idéal:

- MJ arbitre / PJ spectateur: le joueur accepte de découvrir un monde et une aventure sur lesquels il n'aura en fin de compte que peu de prise. Au fond, ce qu'il apprécie dans le JDR, c'est qu'on lui raconte de belles histoires dont il est le héros.

- MJ improvisateur / PJ pro-actif: pour que la campagne réussisse, le joueur doit s'impliquer au maximum car c'est lui qui doit définir ses objectifs. Comme le cadre de campagne est prédéfini, il doit également développer une connaissance aussi approfondie que possible du contexte.

- MJ "à l'ancienne" / joueur "professionnel" : Le cadre de campagne étant défini par les actions des joueurs, le PJ doit avoir une certaine expérience du type de campagne pratiqué et en maîtriser la grammaire. L'accent mis sur les scénarios privilégie le goût de l'aventure au dépens du pur "role-play" et le PJ est bien souvent un aventurier professionnel qui enchaîne les missions principalement pour voir du pays et gagner de l'expérience, de la puissance et/ou des trésors.

- MJ conteur / PJ conteur: L'ensemble de la campagne est defini de façon collégiale par le MJ et ses joueurs et chaque PJ est donc également un conteur qui vient ajouter sa voix à celle du MJ. Il lui faut beaucoup d'imagination et d'intuition pour co-créer le monde et co-définir les aventures sans dénaturer l'ensemble.

Une fois encore, ces correspondances ne sont qu'indicatives. Mais elles permettent de comprendre bien des frustrations que j'ai pu constater depuis que je pratique le JDR. Un PJ conteur, par exemple, a fort peu de chances de s'amuser à la table d'un MJ arbitre. Sa créativité sera continuellement frustrée par le poids des éléments pré-existants. A l'inverse, un PJ spectateur prendra sans doute un MJ conteur pour un fumiste et se sentira un peu perdu à la table d'un MJ improvisateur.

Comme toujours, l'important est de comparer ses propres attentes en matière de jeu et celles des autres participants. Car si un one-shot peut fort bien s'accomoder de sensibilités très différentes, il y a fort à parier qu'elles rendront délicate toute tentative de campagne à long terme.

vendredi 19 novembre 2010

Old School et bourrinisme: le grand malentendu


J'aimerais dissiper une fois pour toute un malentendu au sujet des jeux old school. On leur reproche souvent d'être des jeux de bourrins centrés presque exclusivement sur le combat. Preuve à l'appui: ils ne mentionnent souvent qu'un système de combat (pas de compétences générales, de règles d'interaction entre PJ et PNJ etc.).

Historiquement, il y a sans doute une part de vérité. Je pense que les tous premiers joueurs de D&D passaient la majeure partie de leur temps dans les donjons. Mais le jeu a sans doute évolué beaucoup plus vite qu'on ne veut le dire.

Tout d'abord, il est faux de penser que D&D encourage à tuer sans discernement: un personnage gagne bien plus d'expérience en trouvant des trésors qu'en tuant les monstres. Moralité: la stratégie la plus "payante" est souvent d'éviter le combat pour s'emparer directement du trésor (d'autant plus que se soigner peut coûter très cher). Contrairement à ce qu'en ont fait nombre de joueurs, D&D est plus un jeu de filous que de brutes (et c'est la raison pour laquelle un personnage comme le voleur est parfaitement viable en dépit de ses piètres talents de combattant).

D'autre part, on voit très vite évoluer le jeu: dès 1978 (AD&D) et 1981 (Expert Rules), le jeu sort des donjons pour s'intéresser à l'après: création et gestion de domaines ou de guildes, voyage dans d'autres plans d'existence etc. Les campagnes de l'époque sont révélatrices: Arduin, Blackmoor ou Greyhawk sont des projets nettement plus ambitieux qui commencent à décrire des mondes entiers.

On peut s'étonner aujourd'hui du fait que cette explosion de créativité ait pu se produire en partant d'un corpus de règle apparemment centré sur le combat. Mais c'est beaucoup moins surprenant qu'il n'y paraît. Le jeu de rôle est né du Wargame dont il reprend initialement les mécanismes (ceux d'une variante du jeu Chainmail, pour être plus précis). Il mettra un certain temps à s'éloigner de son auguste aîné et, dans l'esprit des premiers joueurs, les deux activités sont complémentaires.

Ainsi peut-on expliquer l'énumération des forces militaires en présence tant dans le livret de Greyhawk que dans la First Fantasy Campaign d'Arneson (Judge Guild, 1977) ou dans les livres d'armées de Tekumel. On retrouvera cette parenté dans la première mouture de Chivalry & Sorcery en 1977. Suivant cet illustre exemple, plusieurs éditeurs de JDR créeront des Wargames compatibles avec leurs jeux de rôles. C'est le cas de ICE (War law), de TSR (Battle System). On trouvera également La guerre des Héros (dans l'univers de Glorantha) ou Greyhawk Wars (dans celui de Greyhawk). Ajoutons-y en France le fameux Ave Tenebrae de F.M. Froideval. Certains jeux forment même d'étranges compromis entre JDR et jeux de stratégie. C'est le cas de Nil en France ou de Hidden Kingdom par exemple.

Ce lien entre JDR et Wargame a influencé les débuts de notre hobby. Ainsi, Tekumel et Greyhawk (deux des tous premiers univers) voient leur Histoire façonnée par les grandes batailles qui sont livrées dans le cadre du jeu par des armées à la tête desquelles on trouve les principaux PJs de la campagne (ceux de l'équipe du MJ créateur de l'univers, qu'il s'agisse de G. Gygax ou de M.A.R. Barker). On est donc loin de la simple "chasse au monstre" à laquelle certains voudraient réduire le jeu Old School.

"Alors pourquoi ces jeux ne présentent-ils qu'un simple système de combat?" répondront les sceptiques. "Pourquoi ne pas avoir introduit de compétences plus générales?" Gary Gygax lui-même a répondu à cette question sur le forum de Dragonsfoot: "The name of the game is roleplaying, not ruleplaying. the Game master is there to handle all the thousands of situations where rules are UNNECESSARY. Knowledge, logic, reason, and common sense serve better than a dozen rule books."

On pourrait considérer cette affirmation comme une justification a posteriori (après tout, Gygax lui-même n'a pas tenu compte de cette remarque lors de l'écriture de Danjerous Journeys et de Lejendary Adventures). Elle n'en reste pas moins vraie. J'en veux pour preuve le fait que le combat est le seul aspect du JDR que les jeux "diceless" ont du mal à traiter. Ambre Theatrix ou Everway parviennent sans mal à simuler 99% des actions des Pjs. Mais le combat se prête mal à un tel traitement: pour fournir le nécessaire frisson d'angoisse, il faut de l'aléatoire, de l'imprévisible. C'est aussi la seule façon d'éviter que le MJ décrète de façon unilatérale la mort ou la survie du PJ.

Le reste est parfaitement gérable sous forme de role-play dès lors que le MJ et le joueur ont une vision suffisamment précise des capacités du personnage. Or cette vision claire et précise est justement facilitée par l'existence des classes de personnages, ces archétypes qui permettent de définir de façon presque instinctive ce dont un personnage est capable ou non. Le reste est affaire de background. En cas de doute, il reste toujours la possibilié d'effectuer un simple jet sous une caractéristique.

En réalité, par bien des aspects, ce sont les incarnations les plus récentes de D&D qui tendent à minimiser le role-play et le story-telling au profit de mécaniques froides et sans âme. Trop souvent, des scènes d'anthologie sont perdues au profit d'un simple jet de compétence. Convaincre un garde de laisser entrer le groupe dans une ville devrait être l'occasion de planter un PNJ intéressant, d'en apprendre plus sur ladite ville, de tester le sens de la répartie des joueurs et non se résumer à un jet d'éloquence ou de barratin.

Accessoirement, la montée en puissance des compétences a diminué l'impact des caractéristiques qui avaient le mérite d'offrir un portrait simple et complet du personnage. Car dans le cas de figure précédent, que signifient un 17 en charisme ou en intelligence si le PJ a négligé de prendre la compétences "éloquence"? Or je ne suis pas certain que c'est en remplaçant une caractéristique par 5 ou 6 compétences que l'on améliorera la qualité de la narration ou l'impression d'immersion. Au contraire, plus de mécaniques équivaut souvent à moins de fluidité et à moins de role-play.

Bien sûr, cette remarque n'est valable que pour les jeux à classe. Dans le cas où les personnages ne sont définis que par l'ensemble de leurs compétences, il est évidemment impossible de se dispenser desdites compétences. Et je ne débats pas ici des mérites comparés des jeux à classes et des jeux à compétences. Je ne fais qu'expliquer en quoi D&D n'avait pas besoin de compétences. Il n'est donc pas étonnant qu'elles soient demeurées optionelles dans AD&D2 tout comme dans la Rules Cyclopedia.

Ainsi, loin de se cantonner au hack & slash auquel on le réduit trop souvent, le jeu old school privilégiait le role-play au détriment du roll-play. J'en veux d'ailleurs pour preuve le fait que le système de combat lui-même n'est pas assez détaillé pour constituer réellement le centre du jeu: le round de 1 minute et le système THAC/AC forment un canevas bien trop lâche et imprécis pour offrir des choix tactiques qui rendraient les combats intrinsèquement captivants. On est très loin des placements stratégiques, des attaques d'opportunité ou des modificateurs de position de la 3ème édition. Et je ne parle pas de la 4ème qui a transformé le système de combat en un superbe jeu de stratégie avec figurines.

En fait, réduire le old school au PMT (porte/monstre/trésor) et au hack & slash constitue un contresens historique. Si le jeu a effectivement commencé dans les profondeurs obscures des donjons, il s'en est très vite abstrait pour couvrir un champ beaucoup plus large. Et il n'y a rien de surprenant à ce que les premiers mondes créés pour accueillir des campagnes de JDR soient si riches. Combien de créations ultérieures peuvent se targuer de posséder la richesse et la cohérence de Greyhawk, Blackmoor, Tekumel, Arduin ou Glorantha?

mardi 16 novembre 2010

Freeeeeedoooooom !!!!

Dans mon dernier post, j'exprimais mes doutes quant à la possibilité d'une révolution du jeu de rôle et ma conviction qu'au fond, le système de règles importe moins que ce qu'en fait le meneur de jeu.

C'est justement l'une des raisons qui motive aujourd'hui un certain nombre de joueurs à se rattacher au mouvement old school renaissance. Car malgré les pinailleries de certains grognards prêts à disserter durant des heures sur tel ou tel point de règle, le mouvement OSR se caractérise surtout par un refus de la règle "systèmatique".

Je m'explique: aux yeux d'un joueur old school, ce qui compte c'est moins la règle (rule) que l'arbitrage (ruling). On ne demande pas aux règles de prévoir le moindre cas de figure possible mais bien de former un canevas assez lâche qui permettra d'improviser des règles lorsque la nécessité s'en fera sentir.

Arbitrage et confiance

Certes, on pourrait considérer qu'il y a dans ce modèle de l'arbitraire, ce que l'on appelle souvent du "GM fiat". Mais ce serait oublier que même dans les systèmes les plus simulationnistes, c'est au meneur de jeu que revient de fixer la difficulté d'une action ou les bonus/malus applicables.

Le secret du jeu de rôle réside dans le pacte de confiance tacite que passe tout joueur avec son meneur. Cet accord impose à ce dernier une position éminemment paradoxale puisqu'il doit simultanément:

- veiller à ce que les joueurs s'amusent et occupent la place centrale du récit,
- mettre en scène l'opposition aux personnages et jouer leurs adversaires de façon aussi intelligente que possible,
- préserver une forme d'impartialité dans la résolution des actions de façon à maintenir le mécanisme de suspension d'incrédulité.

La confiance dévolue au meneur de jeu en tant qu'arbitre, en tant qu'interprête des règles, paraît donc bien dérisoire comparée à celle que sous-tendent ses autres responsabilités.

Mais voyons plutôt ce que permet le glissement de la règle à l'arbitrage.

Libérer la narration [Role-play vs. roll-play]

Moins on passe de temps à apprendre, comprendre, vérifier et appliquer des règles complexes et plus on passe de temps à raconter des histoires.

Exemple: Avec les règles de la troisième ou de la quatrième édition de D&D, un combat prend rarement moins d'une demi heure. Et je ne parle pas du grand combat final contre le seigneur liche et sa cohorte de morts-vivants mais de l'escarmouche contre trois orques boîteux rencontrés au détour d'une route.

Dans un jeu Old School, il n'y a pas des dizaines de dons, de pouvoirs spéciaux, de placement tactique possibles etc. La durée du combat dépend donc surtout de l'importance que l'on veut lui donner. S'il est décisif, le meneur et les joueurs vont insister sur leurs descriptions, théâtraliser la scène, exploiter le terrain sur lequel se déroule la rencontre etc. S'il s'agit d'un combat de second ordre, quelques phrases suffiront à résumer l'affrontement.

De même, un mage qui dispose au maximum de 12 sorts par niveau prend moins de temps à les étudier avant de les mémoriser qu'un mage qui en a plusieurs centaines. D'autant que la description desdits sorts s'est diablement étoffée au cours du temps.

Des règles simples, c'est la garantie de plus de rapidité, de plus de fluidité, ce qui permet de redonner aux parties un caractère épique.

Exemple: Qu'est-ce que vous avez fait, à la dernière partie?

New Scool: On a tué trois orques boîteux et on est entré dans le château. Là, on s'est battu contre deux goules.

Old School: On s'est débarrassé rapidement de trois orques boîteux et on est entré dans le château. On a fouillé le rez-de-chaussée en se débarrassant de quelques morts-vivants qui s'y trouvaient et on a localisé l'entrée des souterrains. Mais la porte était piégée et Trevor a pris une flêchette empoisonnée. On a dû retourner au village en catastrophe mais les amis des orques boîteux se sont lancés à notre poursuite. Vlad et Tricia ont fait diversion pendant que j'emmenais Trevor chez le guérisseur. Trevor a pris un contre-poison et on est retournés au château. On vient juste d'entrer...

Libérer les personnages [Héros épiques vs. "vous êtes qui au juste, les gars?"]

Le old-school, ce n'est pas seulement le refus du carcan des règles mais aussi le refus d'une dérive peut-être plus grave encore: le cadre de jeu trop rigide.

Dans un souci fort louable de diversification et d'approfondissement, nombre d'éditeurs ont développé des univers très riches avec de nombreux suppléments géographiques, recueils de PNJs et d'organisations diverses et même parfois des récits publiés sous forme de romans.

Deux cas d'école ayant poussé le concept particulièrement loin: World of Darkness et Forgotten Realms. Mais les véritables champions toutes catégories, ce sont les JDR français. Lisez Hurlement, Guildes, Nephilim et tous les jeux Multisim. Considérez Cadwallon et ses secrets. Voyez Scales ou Rétrofutur...

Le problème, c'est que cette richesse se paie souvent du prix de la complexité. Pour être certain de rester dans le droit fil du monde, le meneur de jeu n'a d'autre choix que de suivre religieusement les scénarios du commerce. Car s'il s'avisait de dévier du cadre déterminé par les auteurs, sa campagne deviendrait rapidement incompatible avec les suppléments publiés. De toute évidence, il s'agit d'un procédé commercial: s'il veut connaître les secrets du monde, le meneur n'a d'autre choix que d'acheter, acheter et acheter encore.

Mais par-delà la question de la vente forcée, ce modèle pose un problème plus grave encore. Car si le meneur - et, par extention, les joueurs - sont forcés de suivre un canevas précis à mesure que le monde est dévoilé, c'est que:

- ledit monde n'a pas été assez bien présenté dans le livre de base (puisqu'il manque des éléments-clés pour le comprendre)
- les personnages n'ont pas pour vocation d'être au coeur du récit

Le premier défaut est regrettable, certes, mais c'est le second qui me choque bien plus encore. Car si les personnages ne sont plus au centre de l'histoire, s'ils n'en sont plus les héros mais de simples protagonistes qui se contentent de réagir aux actions de PNJs plus importants qu'eux, le jeu de rôle perd ce qui fait selon moi sa substantifique moelle.

Car ce qui distingue le JDR du roman ou du film, c'est bien le fait que les PJs en sont les héros. Ce sont leurs actions qui doivent bouleverser le monde et non l'inverse. Et jouer "old-school", c'est affirmer l'absolue prééminence des Pjs, leur redonner la vedette, repasser du conte participatif au jeu de rôle proprement dit.

Et ceci nous amène naturellement au point suivant.

Libérer le meneur de jeu [Aventures à la carte contre menu imposé]

En libérant les personnages, en leur donnant l'initiative, le jeu old-school force le meneur de jeu à se mettre à leur service. Puisque ce sont eux qui écrivent l'histoire, le meneur doit être capable d'improviser pour s'adapter à leurs actions.

Toute la beauté de la chose, c'est que le système de jeu s'y prête parfaitement. Créer les caractéristiques d'un PNJ ne prend que quelques instants: il n'y a ni dons, ni compétences à déterminer, juste une poignée de caractéristiques. Cette flexibilité permet au meneur d'être plus réactif, plus accommodant.

A ce propos, l'étude des vieux "modules" est révélatrice. Car il ne s'agit pas d'intrigues mais d'un ensemble de "rencontres" qui peuvent être soit aléatoires, soit rattachées à un lieu. Il n'y a pas de trame narrative (même si la nature des rencontres peut en sous-tendre une). Les personnages sont libres de se promener comme ils l'entendent et de réagir à leur guise. Ils sont libres aussi d'aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs. C'est le sens des tables de rencontres que l'on trouve dans D&D: elles permettent au meneur de gagner du temps, d'improviser plus facilement.

Au fil du temps, ces outils ont été de plus en plus décriés parce qu'il étaient perçus comme trop vagues et trop génériques. Mais la réalité est tout autre. Ce qui est générique, au contraire, ce sont les scanérions "modernes" qui préécrivent l'histoire et qui prévoient à l'avance les actions et les réactions des personnages.

N'avez-vous jamais eu cette détestable impression d'être mené par le bout du nez par la campagne "du commerce" à laquelle vous participiez? Personnellement, cela m'est arrivé chaque fois que je jouais à L'appel de Cthulhu, par exemple.

Et cela n'a rien d'étonnant: on ne peut reprocher à un auteur limité par le nombre de pages de ne prévoir que les cas de figure les plus probables. Le problème, c'est que les décisions minoritaires qui ne sont pas traitées peuvent altérer l'ensemble de la campagne. Et qu'est censé faire le meneur de jeu lorsque les personnages sortent des clous? Refuser tout net au risque de passer pour un tyran? Ou improviser quelque chose d'autre au risque d'avoir acheté sa campagne pour rien?

Il n'y a pas de bonne réponse à ces questions car le véritable problème se trouve en amont. A un moment de l'histoire du jeu de rôle, les auteurs sont passés de l'écriture de modules (présentant des lieux et des personnages de façon "fixe" et laissant le soin au MJ et aux joueurs d'introduire l'action) à l'écriture de scénarios proprement dits (qui décrivent au contraire les actions des personnages dans un environnement donné). Pour James Maliszewski (et je partage cette opinion), la rupture a lieu avec la publication de la saga Dragonlance.

Il me paraît donc impératif de faire marche arrière et de revenir à une structure plus proche de celle des modules old-school. A mes yeux, un bon "scénario" devrait être constitué de la façon suivante:

1 - description du problème auquel seront confrontés les PJs

2 - description des PNJs importants

3 - description de l'environnement général

4 - pistes de réflexion pour le meneur de jeu (accroches, déroulements-type, conclusions possibles, variantes à envisager).

Exemple: le scénario porte sur une conspiration millénariste qui compte invoquer un Grand Ancien

1 - description de la secte, ses objectifs, ses méthodes, ses moyens de financement, les différents lieux qu'elle occupe, le calendrier prévu (sans tenir compte d'éventuelles interventions extérieures).

2 - description des principaux membres de la secte, de ceux qui enquêtent déjà sur elle, des personnalités qu'elle contrôle, des alliés qui pourraient s'avérer utiles aux Pjs etc. Il est impératif de développer bégalement les motifs personnels de chaque personnage de façon à leur donner un véritable relief.

3 - description des principaux lieux où est implantée la secte. Cette description doit contenir une partie de généralités sur le lieu en question mais surtout quelques lieux typiques que fréquenteront probablement les Pjs (un bar haut en couleur, un hôtel, le journal local). S'ajoute une partie de lieux plus génériques que l'on peut placer en fonction des besoins (ex: une bibliothèque, une boîte de nuit).

4 - Quelques idées pour impliquer les personnages en fonction de leur métier, leurs relations ou leur intérêt pour la secte. Quelques enchaînements d'action/réaction parmi les plus probables. Quelques variantes (un PNJ n'est pas ce qu'il paraît, l'un des PJs est secrètement membre de la secte, le Grand Ancien n'en est pas un et le rituel a une conséquence différente de celle que tous envisagent etc.)

Il ne s'agit là que d'un exemple un peu vague mais qui donne une idée de ce qui importe plus que tout: donner une idée aussi précise que possible du décor et des opposants sans présupposer quelles seront les actions des personnages joueurs. Ceux-ci doivent rester libres d'évoluer à leur guise dans ce décor et de procéder à leur façon. C'est au meneur de jeu d'improviser en fonction de ce qu'il sait de la secte, de ses alliés et de ses adversaires de façon à répondre aux initiatives spécifiques des joueurs.

Freeeeeedoooooom !!!!

Voici donc les grandes lignes de ce que le jeu old-school a à nous offrir: retrouver une liberté de jeu, recentrer l'action sur les personnages qui doivent redevenir les héros qu'ils étaient avant que les grands éditeurs ne sur-développent leurs univers, leurs PNJs et leurs "metaplots". Prendre conscience de ce nécessaire second souffle constitue selon moi une révolution ludique bien plus importante que celle que peuvent offfrir les systèmes de règles les plus avant-gardistes qui soient.

mardi 14 septembre 2010

Say you want a revolution

Je comparais dans mon billet précédent Renaissance Old School et Révolution ludique en soulignant que toutes deux prônaient à leur manière un retour à l'histoire, à l'aventure face à la dérive simulationiste du d20 et de ses avatars.

Mais pourquoi certaines personnes embrassent-elles la Renaissance plutôt que la Révolution? Après tout, c'est bien cette révolution qui semble constituer une progression naturelle de notre hobby, non?

Las, ce serait méconnaître l'histoire courte mais tourmentée du jeu de rôle. Plutôt qu'un long discours, citons dans le désordre quelques jeux qui auraient pu révolutionner en leur temps le JDR: Theatrix, Everway, Conan (celui de 1985), le Saga Sytem de TSR, Ambre, Prince Valiant etc.

Tous ces jeux sont extraordinaires. Ils introduisent de véritables partis pris narratifs et sortent des sentiers battus. Chacun d'entre eux est une petite perle qui mériterait d'être régulièrement relue, savourée et méditée. Mais tous sont restés orphelins de joueurs comme de suppléments. Comment expliquer ce phénomène?

Hypothèse n°1: les petits éditeurs sont écrasés par les gros qui imposent leurs jeux plus "commerciaux"

Cette idée ne tient pas. Tout d'abord parce que la distinction entre gros et petits est très exagérée. J'en veux pour preuve la disparition de TSR ou d'Avalon Hill qui paraissaient indétrônables et la montée en puissance rapide de nouveaux éditeurs comme Mongoose ou Green Ronin (ou White Wolf en son temps).

De plus, il n'y a pas forcément de corrélation entre petits éditeurs et avant-garde, ainsi que le démontrent la publication de Conan RPG et de Dragonlance Saga par TSR.

Hypothèse n°2: Les jeux d'avant-garde manquent de suivi, contrairement aux "gros" jeux

C'est vrai. Mais c'est un peu la poule et l'oeuf, non? Si ces jeux avaient plus de succès, nous verrions peut-être des ribambelles de suppléments qui leur seraient consacrés.

Hypothèse n°3: les rôlistes sont indécrottablement conservateurs. C'est d'ailleurs pour cela que des imbéciles comme le créateur de ce blog s'entêtent à pratiquer des jeux complètement démodés

C'est sans doute en partie recevable. Cela expliquerait notamment le fait que le JDR reste souvent si proche de ses racines Med-fan alors qu'il y a tant d'autres possibilités à explorer. Il faut effectivement tenir compte du facteur nostalgie ("jamais rien ne vaudra la première édition de [n'importe quel jeu]") et de l'expertise ("j'ai appris par coeur 1.200 pages de règles et acheté pour $1.450 de suppléments. Tu ne crois tout de même pas que je vais changer de jeu maintenant!") etc.

Mais l'argument ne ne résiste pas à l'analyse. La plupart des joueurs que je connais ont joué à de très nombreux jeux, en possèdent plusieurs et s'intéressent de près aux nouvelles sorties (même les vieux grognards - comment pourraient-ils critiquer D&D4 sinon?).

De plus, nombre de joueurs de JDR sont atteints de collectionnite et consacrent une partie non-négligeable de leur budget à leur passion. Heureusement pour les auteurs et éditeurs, d'ailleurs, parce qu'en réalité, il leur suffirait d'un livre de base pour s'occuper durant toute une vie.

Enfin, les critiques des jeux les plus avant-gardistes sont presque toujours unanimement favorables. Si vous ne me croyez pas, allez lire celles d'Everway sur le GROG et sur RPGnet!

Alors c'est quoi le problème?

Je possède plusieurs centaines de jeux de rôle dont je relis régulièrement les règles avec le même intérêt.

J'ai suivi avec passion les discussions de The Forge sur la nature du JDR, ses fondements théoriques, l'importance des théories GNS (pour ceux qui ne connaîtraient pas, lisez impérativement ceci).

Et j'ai développé une théorie très élaborée sur le sujet:

[... enfile une armure +7 d'immunité contre les crachats, un casque +3 de surdité aux insultes, des gantelets de manipulation de sujet dangereux...]

Le système, on s'en fout !

Voilà, c'est dit. Le système, au fond, on s'en fout. C'est pour cela que le JDR passe par des phases qui vont du rule-light au simulationisme, du gamisme au narrativisme etc. C'est une affaire de goût, une affaire de mode, une affaire de sensibilité personnelle et collective. Franchement, je serais bien incapable de vous dire quelles règles sont les meilleures entre HARP et Fudge. Ce serait aussi vain que de comparer un coq au vin et un gâteau au chocolat.

On me répondra que les règles conditionnent l'ambiance. Ca, c'est vrai. Mais ce n'est pas tant une affaire de système. J'ai vu des meneurs faire du rule-light avec du d20 (au fond, Castles et Crusades, c'est exactement ça) ou du simulationisme avec Fudge (allez voir les systèmes de magie qui se trouvent en lien sur la page de l'auteur).

Bien sûr, il vaut mieux que le système reflète l'ambiance que l'on a en tête. C'est plus simple, cela demande moins d'aménagements et de variantes personnelles. Si l'on veut simuler des passes d'armes complexes, par exemple, mieux vaut utiliser un autre système de combat que celui d'AD&D (ou D&D3). Mais il est possible de transformer un tel système pour parvenir à un résultat intéressant (cf. Iron Heroes de Mike Mearls).

Ajoutons que la plupart des meneurs aiment transformer leurs jeux et écrire leurs propres variantes. Pour eux, un système bancal mais ouvert peut donc être plus amusant qu'un système équilibré mais trop organique pour être facilement modifié (c'est toute la différence entre BD&D et D&D3, par exemple).

Et puis, entre nous, qui n'a pas gardé un souvenir ému d'une partie improvisée un soir sur un coin de table sans le moindre livre de règle?

Mais c'est désespérant comme conclusion...

Au contraire ! Sinon, j'aurais depuis longtemps revendu ma collection pour ne garder que le "meilleur" de mes jeux (ou les meilleurs dans des genres différents). Or, pour le plus grand malheur de mon épouse bien aimée, tel n'est pas le cas.

Il en va des règles comme des contextes de jeu. Plus on en lit, mieux on comprend ce qui fait l'intérêt de telle ou telle approche et plus on dispose d'options parmi lesquelles piocher en fonction de ses besoins.

Exemple: ma dernière campagne se déroulait dans les années 20 avec une bonne dose de fantastique (mais pas de Grands Anciens). Je pensais initialement qu'elle serait constituée d'une série de "one shots" presque indépendants les uns des autres. J'avais donc choisi FUDGE comme système (simple, rapide, facile à intégrer). En fin de compte, c'était presque toujours les mêmes personnages qui jouaient et FUDGE devenait trop granulaire (progression difficile à simuler dans un système qui ne compte que 7 incréments). J'ai donc changé en cours de campagne pour une version très simplifiée de d20 avec des compétences "arme" en guise de BAB et un système de magie fait maison vaguement inspiré par celui du Chill Companion.

Je crois profondément que la véritable révolution en matière de jeu de rôle ne passera jamais par les règles mais par la capacité du meneur de jeu à prendre conscience des possibilités et des limitations offertes par le système qu'il utilise - quel qu'il soit. Il lui devient alors possible d'exploiter à la fois les forces et les faiblesses de ce système en corrigeant les règles, en en introduisant de nouvelles voire même en transformant certains de leurs défauts apparents en qualités.

Transformer des règles bancales en véritable atout pour le jeu, tel est justement le secret de l'Old School Renaissance et le sujet de mon prochain post...