jeudi 13 septembre 2012

Jeu de rôle et archétypes



Jeu de rôle et archétypes

A dangerous method, le film de Cronenberg traitant des relations entre S. Freud et C.G. Jung m’avait donné envie de me replonger dans les œuvres de ce dernier. Et en relisant certains de ses écrits, je me suis interrogé sur la pertinence qu'il pourrait y avoir à mêler psychologie analytique et jeu de rôle. Je ne parle pas ici d'utiliser le jeu de rôle dans un but thérapeutique (ce pourrait faire l’objet d’un tout autre article) mais bien de mettre les outils de la psychologie analytique au service d'une expérience ludique.

L’idée n'est pas nouvelle, en fait. Elle fut déjà creusée par les jeux Everway et Deliria dont je reparlerai. Mais sans doute est-il préférable de commencer par définir dans les grandes lignes (et de façon très caricaturale, j’en ai peur) les différents concepts développés par Jung.

La théorie jungienne

Le travail de Jung s'inscrit initialement dans la continuité de celui de Freud qui considère d'ailleurs initialement son cadet comme son dauphin naturel, amené à reprendre le flambeau après sa mort. Mais deux grands sujets de divergence vont rapidement apparaître entre les deux hommes et, au fil des années, creuser entre eux une faille qu'ils ne parviendront jamais à combler et qui aura raison de leur amitié.

D’une part, Jung refuse les explications presque exclusivement sexuelles que Freud donne de l’inconscient, du rêve ou de la névrose. D’autre part, en étudiant les cas de plusieurs patients, il croit distinguer un certain nombre de motifs inconscients qui dépassent la psyché de l’individu et semblent appartenir à un fond commun (qu’il nommera inconscient collectif). Il les baptisera « archétypes ».

Jung retrouve ces archétypes dans toutes sortes de productions mentales humaines: la folie et le rêve, bien sûr, mais aussi l’art, les mythes et légendes, les contes de fées et même l’alchimie ou le tarot. Ce sont des images puissantes venues du fond des âges, traversant notre Histoire et notre imaginaire et formant le canevas même de notre inconscient profond.

Contrairement à Freud, Jung ne voit pas cet inconscient comme un bouillonnement dangereux de la libido dont les surgissements seraient le plus souvent problématiques. Bien au contraire, il préconise un travail constant sur cet inconscient, une écoute attentive de ses manifestations qui peuvent constituer des mises en garde ou même receler des indications sur soi-même. Dans ses passages les plus mystiques, cette appréhension de l’inconscient collectif qui est en nous se rapproche de façon troublante d’une forme de communication divine.

Et le jeu de rôle dans tout ça?

En tant que forme du conte, le jeu de rôle est le lieu privilégié de manifestation des archétypes. Le héros, le monstre, le magicien, le souterrain, l’épée... sont autant de symboles profondément ancrés dans notre esprit, dans notre culture. Chacun de ces symboles renvoie à une infinité de sens qui se mêlent.

Exemple : l’épée. L’image de l’épée renvoie à une foule de notions parfois complémentaires, parfois contradictoires :

·         la violence
·         la protection (l’épée est le symbole de la noblesse, le noble étant initialement celui qui protège, complément de celui qui travaille et de celui qui prie)
·         la Justice (balance dans une main, épée dans l’autre)
·         le serment (jurer sur son épée, faire serment d’allégeance)
·         l’esprit (l’épée comme métaphore de l'intelligence qui tranche, qui sépare les idées)
·         la sexualité (l’épée comme substitut phallique, cf. l’épée entre Tristan et Yseult ou celle que plante Arthur entre Lancelot et Guenièvre)
·         etc. etc. etc.

Tous ces sens sont simultanément présents dans notre inconscient et n'attendent que d'être réactualisés. Le meneur de jeu habile peut utiliser ces non-dits du symbole pour activer chez ses joueurs des réactions semi-conscientes qui seront bien plus efficaces encore qu'une simple description.

C'est exactement ce que fait George Lucas lorsqu'il met en scène l’ultime étape de l’initiation de Luke Skywalker au sein d'une caverne. Pourquoi une caverne plutôt qu'une forêt, par exemple ? Parce que la caverne symbolise les origines et la petite enfance (la caverne est un symbole de l’utérus), mais aussi les forces obscures (forces chthoniennes, enfers) et l’initiation (le mythe de la caverne de Platon). La caverne est aussi une bouche prête à avaler l’imprudent. Elle recèle les ténèbres qui ouvrent tout un nouveau champ symbolique. Etc.

Est-ce à dire que le MJ doit devenir un maître symboliste? Oui et non. Plus il étudiera les archétypes et leurs polysémies, plus il pourra les utiliser de façon consciente pour parler directement à l’inconscient de ses joueurs. Mais il doit aussi et surtout être à l’écoute de son propre inconscient, de sa propre intuition. S'ils lui soufflent que le décor idéal pour une scène est une caverne, il doit se demander pourquoi de façon à pouvoir optimiser la portée de ce symbole.

Quelques outils pour penser les archétypes

A ma connaissance, deux jeux ont consciemment tenté d'utiliser les archétypes afin d'optimiser l’expérience ludique: Deliria (Laughing Pan Productions, 2003) et Everway (Wizards of the Coast, 1995).

Le premier expose un certain nombre d'archétypes qui permettent de définir les principaux rôles que l’on retrouve au sein des contes de fées: la sorcière, le chevalier, la bonne marraine etc. Le joueur peut en choisir un qui guidera son role-play et les choix décisifs qu’il sera amené à faire au cours de sa vie. Cette utilisation des archétypes est finalement assez proche des classes de personnages qui furent utilisées dès les premiers temps du jeu de rôle et qui caractérisaient tout autant des compétences spéciales (capacité de combat, sorts, facultés de voleur etc.) que des rôles proprement dit (le guerrier courageux, le voleur agile et filou, le mage chétif mais redoutable etc.).

Everway va beaucoup plus loin. La création des personnages se fait par libre association, une série d’images permettant au joueur d’imaginer le passé et l’identité de son personnage. Les caractéristiques elles-mêmes sont empreintes de symbolisme. Au nombre de quatre, elles sont appelées Eau, Feu, Terre et Air et font appel à un imaginaire médiéval teinté d’alchimie. Le système aléatoire lui-même (celui qui remplace les dés lorsque le hasard intervient dans la résolution d’une action) repose sur un système symbolique puisqu’il repose sur un tirage de cartes similaires à celles du tarot divinatoire. Le meneur de jeu est alors responsable de la libre interprétation de la carte ainsi tirée (ex : lors d’un combat, tirage pour l’adversaire du PJ de la carte « Lion » inversée, le MJ l’interprète en décidant que, dans ce cadre, le lion est symbole de courage. Blessé, le PNJ s’enfuit donc sans demander son reste).

Le cas d’Everway est un peu extrême. On peut même se demander si on a encore affaire à un jeu de rôle (au sens classique du terme). De fait, la dimension ludique s’efface presque entièrement au profit d’une narration collective qui nécessite une confiance absolue dans le meneur de jeu / interprète du destin. Mais sans aller aussi loin, on peut parfaitement mettre à profit les idées d’Everway dans le cadre d’un jeu plus classique.

Jeu de rôle et tarot

Nombre de jeux l’ont compris, introduisant l’utilisation de cartes de tarot. Pour ne citer que quelques exemples : Maléfices, Lace & steel, Ambre, le décor de campagne de Ravenloft ou encore Chimère dans lequel ce tarot joue un rôle primordial lors de la création du personnage. Il est parfaitement possible d’étendre l’utilisation du tarot divinatoire à d’autres jeux.

Un tel outil peut intervenir lors de plusieurs phases du jeu :

-          la création d’un personnage : un tirage divinatoire peut permettre de développer certaines facettes de la personnalité du personnage, voire même d’anticiper conjointement quelques grandes étapes de sa destinée dont le MJ tiendra compte par la suite lors de la campagne.
-          la création de scénarios : un tirage peut parfaitement servir de catalyseur, faisant naître dans l’esprit du MJ des idées qu’il intègrera dans son scénario ou même évoquer une intrigue complète.
-          en cours de partie, un tirage de carte peut également être utilisé pour pimenter l’aventure à la façon des tables de rencontre d’autrefois ou pour informer le MJ sur l’attitude d’un PNJ par exemple.

Ce type de tirage repose souvent sur l’utilisation des arcanes majeurs (moins nombreux et plus faciles à mémoriser ou à interpréter librement que les arcanes mineurs). Mais les autres cartes peuvent également avoir leur utilité dans le cadre du jeu. Les honneurs (têtes couronnées de chacune des familles) peuvent par exemple être assimilés aux principaux PNJs récurrents de la campagne. Les arcanes mineurs numérotés de 1 à 10 peuvent quant à eux remplacer l’utilisation du d10 ou du d20 (tirage de deux cartes).

De nombreux jeux existent dans le commerce. Parmi ceux que je préfère utiliser, citons :

Médiéval Fantastique : Universal Fantasy Tarot (Lo Scarabeo), Fantastical Tarot (US Games Systems), Hobbit Tarot (US Games)

Fantastique (historique ou contemporain) : Necronomicon Tarot (Ada Editions), Dark Grimoire Tarot (Lo Scarabeo), Archeon Tarot (US Games Systems)

Il en existe de nombreux autres sur des thèmes qui se prêtent parfois bien mieux encore à certains jeux de rôles : tarots Steampunk, Vampires, Dragons, Zombies, UFO etc.

Chacun de ces jeux introduit une imagerie et une sensibilité qui lui est propre mais tous sont bâtis sur le même modèle, ce qui signifie que l’on n’est pas obligé de réapprendre un système symbolique lorsque l’on passe de l’un à l’autre.

En ce qui concerne ces symboles, la place manque ici pour en dresser une liste indicative (on la trouve dans les petits livrets accompagnant les jeux). Si certaines personnes sont intéressées par des interprétations plus axées sur la pratique du jeu de rôle, je pourrai en mettre une à disposition. Elle ne sera qu’indicative, bien sûr, puisque l’intérêt du symbolisme (et par extension du Tarot) est de rester un système ouvert et ré-interprétable à l’infini.

jeudi 12 janvier 2012

I want to believe

Une cinquième édition...
Ou plutôt, une édition "Next".

Aux commandes, Monte Cook qui fut l'un des auteurs les plus incroyables de la période d20. A son actif, Cthulhu d20, Arcana Unearthed/Evolved (qui reste pour moi la meilleure incarnation du d20) ou encore le décor de campagne incroyable de Ptolus.

Monte Cook, un vétéran qui joua un rôle décisif au sein de la gamme Planescape, mon décor de campagne préféré pour AD&D2. Monte Cook qui publia une série d'articles des plus prometteurs au sujet de l'avenir de D&D:


Monte Cook, enfin, qui prétend vouloir réconcilier les différentes éditions du plus vieux des jeux de rôle et retrouver la magie d'autrefois...

Monte Cook qui compte s'appuyer sur les réactions de tous les fans de D&D pour bâtir un jeu modulable, capable de satisfaire aussi bien les amateurs de OD&D, AD&D, D&D3.X ou D&D4.

I want to believe. Et pourquoi pas?

Au niveau des règles, rien d'impossible, après tout. Preuve en est la facilité avec laquelle l'OGL fut refondue pour recréer les anciennes éditions. Pour caricaturer, AD&D, c'est D&D3 sans les Feats, non?

Quant à D&D4, eh bien... Je déteste les Daily/At will/Yearly Powers. C'est une mécanique totalement dissociée de toute narration, de toute logique interne. Je déteste l'obsession égalitariste entre les classes qui fait du Rogue une véritable Machine à tuer (TM). Ne me parlez pas des mécanismes de marquage. Tout cela sent le mécanisme de jeu de plateau complètement artificiel.

Mais si les pouvoirs n'étaient que des options. Si D&D devenait OD&D auquel on ajoutait des options telles que:
- OD&D pur
- OD&D + compétences
- OD&D + feats
- OD&D + pouvoirs

Ce qui n'empêche pas les variantes:
- compétences+feats = D&D3
- compétences+pouvoirs = D&D4

Certes, l'équilibrage sera délicat. Certes, la gestion des extensions le sera tout autant. Mais il y a là l'occasion de ressourcer en profondeur l'ancêtre de tous les jeux.

Reste la question du background. Ma foi... Qui peut le plus peut le moins. Et je veux bien supporter l'option des draconiens et autres eldarins tant que les gnomes sont des illusionnistes naturels..On me dira que cela fait beaucoup de vœux pieux. Certes. Mais plus que jamais, nous avons l'occasion de peser sur ce que deviendra D&D.

Apprenant des erreurs de la quatrième édition et du succès de Pathfinder, D&D nous offre la possibilité de nous exprimer, de peser sur le résultat final:


Saisissons cette chance. Quitte à être déçus. Quitte à déchanter.

Qu'avons-nous à perdre? Rien.

Qu'avons-nous à gagner? Un jeu qui nous permette de nouveau de rêver, un jeu soutenu par une compagnie suffisamment puissante pour produire des mondes de campagne aussi passionnants que le furent en leur temps Empire of the Petal Throne (T$R), Greyhawk (T$R), Forgotten Realms (T$R); Dark Sun (T$R), Raveloft (T$R), Spelljammer (T$R), Planescape (T$R)...

Ironique, non? A l'époque, T$R était le Bill Gates du JDR, le grand-méchant que l'on opposait aux gentils créateurs indépendants. Aujourd'hui, les fans de ces mondes (sans compter Mystara, Al-Qadim et autres) comptent parmi les plus ardents opposants de D&D4. Car l'argent n'est pas l'ennemi du JDR. Les grandes compagnies ont les moyens de payer des concepteurs qui ont le talent et le temps de créer de magnifiques univers et scénarios. Il n'y a qu'à voir le travail de Fantasy Flight Games sur Warhammer 40.000 pour s'en rendre compte.

Alors laissons une chance à D&D. Une dernière chance, peut-être, de nous démontrer que le rêve n'est pas mort, qu'il est encore possible de démontrer à tous les fans de MMORPG que rien, jamais, ne remplacera le JDR sur table et la liberté qu'il recèle.

Je ne sais pas pour vous mais moi, en tout cas, j'ai envie d'y croire.