mardi 14 septembre 2010

Say you want a revolution

Je comparais dans mon billet précédent Renaissance Old School et Révolution ludique en soulignant que toutes deux prônaient à leur manière un retour à l'histoire, à l'aventure face à la dérive simulationiste du d20 et de ses avatars.

Mais pourquoi certaines personnes embrassent-elles la Renaissance plutôt que la Révolution? Après tout, c'est bien cette révolution qui semble constituer une progression naturelle de notre hobby, non?

Las, ce serait méconnaître l'histoire courte mais tourmentée du jeu de rôle. Plutôt qu'un long discours, citons dans le désordre quelques jeux qui auraient pu révolutionner en leur temps le JDR: Theatrix, Everway, Conan (celui de 1985), le Saga Sytem de TSR, Ambre, Prince Valiant etc.

Tous ces jeux sont extraordinaires. Ils introduisent de véritables partis pris narratifs et sortent des sentiers battus. Chacun d'entre eux est une petite perle qui mériterait d'être régulièrement relue, savourée et méditée. Mais tous sont restés orphelins de joueurs comme de suppléments. Comment expliquer ce phénomène?

Hypothèse n°1: les petits éditeurs sont écrasés par les gros qui imposent leurs jeux plus "commerciaux"

Cette idée ne tient pas. Tout d'abord parce que la distinction entre gros et petits est très exagérée. J'en veux pour preuve la disparition de TSR ou d'Avalon Hill qui paraissaient indétrônables et la montée en puissance rapide de nouveaux éditeurs comme Mongoose ou Green Ronin (ou White Wolf en son temps).

De plus, il n'y a pas forcément de corrélation entre petits éditeurs et avant-garde, ainsi que le démontrent la publication de Conan RPG et de Dragonlance Saga par TSR.

Hypothèse n°2: Les jeux d'avant-garde manquent de suivi, contrairement aux "gros" jeux

C'est vrai. Mais c'est un peu la poule et l'oeuf, non? Si ces jeux avaient plus de succès, nous verrions peut-être des ribambelles de suppléments qui leur seraient consacrés.

Hypothèse n°3: les rôlistes sont indécrottablement conservateurs. C'est d'ailleurs pour cela que des imbéciles comme le créateur de ce blog s'entêtent à pratiquer des jeux complètement démodés

C'est sans doute en partie recevable. Cela expliquerait notamment le fait que le JDR reste souvent si proche de ses racines Med-fan alors qu'il y a tant d'autres possibilités à explorer. Il faut effectivement tenir compte du facteur nostalgie ("jamais rien ne vaudra la première édition de [n'importe quel jeu]") et de l'expertise ("j'ai appris par coeur 1.200 pages de règles et acheté pour $1.450 de suppléments. Tu ne crois tout de même pas que je vais changer de jeu maintenant!") etc.

Mais l'argument ne ne résiste pas à l'analyse. La plupart des joueurs que je connais ont joué à de très nombreux jeux, en possèdent plusieurs et s'intéressent de près aux nouvelles sorties (même les vieux grognards - comment pourraient-ils critiquer D&D4 sinon?).

De plus, nombre de joueurs de JDR sont atteints de collectionnite et consacrent une partie non-négligeable de leur budget à leur passion. Heureusement pour les auteurs et éditeurs, d'ailleurs, parce qu'en réalité, il leur suffirait d'un livre de base pour s'occuper durant toute une vie.

Enfin, les critiques des jeux les plus avant-gardistes sont presque toujours unanimement favorables. Si vous ne me croyez pas, allez lire celles d'Everway sur le GROG et sur RPGnet!

Alors c'est quoi le problème?

Je possède plusieurs centaines de jeux de rôle dont je relis régulièrement les règles avec le même intérêt.

J'ai suivi avec passion les discussions de The Forge sur la nature du JDR, ses fondements théoriques, l'importance des théories GNS (pour ceux qui ne connaîtraient pas, lisez impérativement ceci).

Et j'ai développé une théorie très élaborée sur le sujet:

[... enfile une armure +7 d'immunité contre les crachats, un casque +3 de surdité aux insultes, des gantelets de manipulation de sujet dangereux...]

Le système, on s'en fout !

Voilà, c'est dit. Le système, au fond, on s'en fout. C'est pour cela que le JDR passe par des phases qui vont du rule-light au simulationisme, du gamisme au narrativisme etc. C'est une affaire de goût, une affaire de mode, une affaire de sensibilité personnelle et collective. Franchement, je serais bien incapable de vous dire quelles règles sont les meilleures entre HARP et Fudge. Ce serait aussi vain que de comparer un coq au vin et un gâteau au chocolat.

On me répondra que les règles conditionnent l'ambiance. Ca, c'est vrai. Mais ce n'est pas tant une affaire de système. J'ai vu des meneurs faire du rule-light avec du d20 (au fond, Castles et Crusades, c'est exactement ça) ou du simulationisme avec Fudge (allez voir les systèmes de magie qui se trouvent en lien sur la page de l'auteur).

Bien sûr, il vaut mieux que le système reflète l'ambiance que l'on a en tête. C'est plus simple, cela demande moins d'aménagements et de variantes personnelles. Si l'on veut simuler des passes d'armes complexes, par exemple, mieux vaut utiliser un autre système de combat que celui d'AD&D (ou D&D3). Mais il est possible de transformer un tel système pour parvenir à un résultat intéressant (cf. Iron Heroes de Mike Mearls).

Ajoutons que la plupart des meneurs aiment transformer leurs jeux et écrire leurs propres variantes. Pour eux, un système bancal mais ouvert peut donc être plus amusant qu'un système équilibré mais trop organique pour être facilement modifié (c'est toute la différence entre BD&D et D&D3, par exemple).

Et puis, entre nous, qui n'a pas gardé un souvenir ému d'une partie improvisée un soir sur un coin de table sans le moindre livre de règle?

Mais c'est désespérant comme conclusion...

Au contraire ! Sinon, j'aurais depuis longtemps revendu ma collection pour ne garder que le "meilleur" de mes jeux (ou les meilleurs dans des genres différents). Or, pour le plus grand malheur de mon épouse bien aimée, tel n'est pas le cas.

Il en va des règles comme des contextes de jeu. Plus on en lit, mieux on comprend ce qui fait l'intérêt de telle ou telle approche et plus on dispose d'options parmi lesquelles piocher en fonction de ses besoins.

Exemple: ma dernière campagne se déroulait dans les années 20 avec une bonne dose de fantastique (mais pas de Grands Anciens). Je pensais initialement qu'elle serait constituée d'une série de "one shots" presque indépendants les uns des autres. J'avais donc choisi FUDGE comme système (simple, rapide, facile à intégrer). En fin de compte, c'était presque toujours les mêmes personnages qui jouaient et FUDGE devenait trop granulaire (progression difficile à simuler dans un système qui ne compte que 7 incréments). J'ai donc changé en cours de campagne pour une version très simplifiée de d20 avec des compétences "arme" en guise de BAB et un système de magie fait maison vaguement inspiré par celui du Chill Companion.

Je crois profondément que la véritable révolution en matière de jeu de rôle ne passera jamais par les règles mais par la capacité du meneur de jeu à prendre conscience des possibilités et des limitations offertes par le système qu'il utilise - quel qu'il soit. Il lui devient alors possible d'exploiter à la fois les forces et les faiblesses de ce système en corrigeant les règles, en en introduisant de nouvelles voire même en transformant certains de leurs défauts apparents en qualités.

Transformer des règles bancales en véritable atout pour le jeu, tel est justement le secret de l'Old School Renaissance et le sujet de mon prochain post...

lundi 13 septembre 2010

Renaissance vs. Révolution












Après l'incroyable prolifération de jeux et de suppléments sous licence d20 et OGL, le calme semble être revenu dans le petit monde du JDR. La nouvelle mouture de D&D étant sortie sous une licence beaucoup plus restrictive que l'OGL, la plupart des éditeurs ont renoncé à l'utiliser.

L'OGL, chronique d'une mort annoncée

Beaucoup ont critiqué ce retour en arrière de Wizards of the Coast mais je trouve cela assez injuste. Quoi que l'on pense de leurs choix éditoriaux, de leurs pratiques commerciales et de l'intérêt de leurs produits, on ne peut nier l'investissement en temps et en argent que les magiciens de la côte ont consacré au jeu (ni le fait que ce sont eux qui lui ont évité de disparaître complètement).

Peut-on leur reprocher d'avoir renoncé à l'OGL qui fournissait à des éditeurs tiers la possibilité de les concurrencer sur leur propre terrain? Si je considère ma propre bibliothèque d20, force est de constater que les produits Wizards y sont en minorité. J'ai bien plus de Malhavoc, de Green Ronin et de livres de petits éditeurs indépendants.

Or Wizards est une entreprise et, à ce titre, il est légitime qu'elle cherche à réaliser un profit et à préserver son patrimoine (le fameux "product identity"). N'est-ce pas la raison pour laquelle Microsoft renâcle tant à livrer ses codes source?

L'OGL était un cadeau dont Wizards n'avait probablement pas mesuré la portée réelle. Mais le fait que la filiale d'Hasbro y ait renoncé s'avère tout aussi bénéfique selon moi. Car en découplant l'OGL de D&D, il redevient possible d'imaginer de nouvelles voies, de nouveaux jeux.

Jeu de rôle et révolution

Un certain nombre d'éditeurs indépendants s'en sont rendu compte avant même la mort programmée de la troisième édition. Rejetant l'hégémonie du d20, ils s'étaient lancés dans l'exploration de nouveaux paradigmes rolistiques. Parmi ces jeux d'un genre nouveau, citons pêle-mêle le Fate System (et son application, l'excellent Spirit of the Century), Active Exploits (JDR sans dés) ou encore Universalis qui se propose même de débarrasser le JDR du meneur de jeu (sacrilège!)...


Ces éditeurs trouvèrent un distributeur aussi enthousiaste que zélé en la personne de Brennan Taylor (auteur du méconnu mais très sympathique "fantasy heartbreaker" Legend of Yore et de l'excellent Mortal Coils). La création de Indie Press Revolution offrit à ces éditeurs un véritable tremplin qui leur permettait de sortir de l'anonymat.

Il serait vain de prétendre résumer les axiomes de cette révolution qui n'est après tout que l'agrégation d'auteurs très différents. Mais je distingue au moins une préoccupation commune à la plupart d'entre eux: le refus de tout système de règles unniversel et l'idée que le mécanisme d'un jeu doit refléter son thème.

Tel le phénix renaissant de ses cendres...

Parallèlement à cette révolution créative, un certain nombre de joueurs et d'éditeurs parvenaient à la conclusion qu'en démultipliant le nombre d'options proposées aux joueurs (dons, classes de prestige, systèmes spéciaux du "Book of the 9 swords" ou du "Tome of magic"), les auteurs successifs de D&D avaient fait du jeu une véritable usine à gaz.

La lecture du "Rules Compendium" est à ce sujet édifiante: 160 pages de règles qui constituent presque toutes des exceptions à la règle de base (d20+score comparé au FD). L'ouvrage se lit plus comme un manuel de programmation informatique que comme un appel à l'imaginaire. Monte Cook (l'un des concepteurs de la 3ème édition) a expliqué que les auteurs avaient cherché à récompenser les joueurs qui devenaient des spécialistes du jeu. L'objectif semble avoir été atteint et probablement dépassé...

Les partisans de l'OSR (old school renaissance) militaient pour un retour à plus de simplicité, arguant que moins les joueurs (et meneurs) passeraient de temps à ingérer/comprendre/appliquer des règles complexes, plus ils auraient le temps de jouer et de développer leurs histoires.

Les premiers tenants de cette théorie furent probablement Troll Lord Games avec leur Castles & Crusades. S'ensuivit une vague de jeux qui s'appuyaient sur l'OGL pour réécrire d'anciennes éditions: Swords & Sorecry, OSRIC, Labyrinth Lords... Tout comme dans le cas de la révolution, il s'agit généralement d'auteurs indépendants et de petits éditeurs. Mais nombre d'entre eux utilisent Lulu pour publier leurs créations et se sont regroupés sous une même bannière.

Les deux faces d'une même médaille?

Il serait facile de voir dans cette Renaissance et cette Révolution l'opposition frontale entre deux visions irréductibles du jeu de rôle: tenants de l'Old School pur et dur contre avant-gardistes ludiques. Mais ce serait méconnaître le fait que ces deux courants sont nés du même rejet de règles complexes et rigides au profit de systèmes plus centrés sur la narration.

Il serait plus juste en réalité de mettre en parallèle ces deux mouvances et les partisans du "rule light" qui s'opposaient aux simulationistes à la fin des années 80. Que nous disent-ils? Que l'histoire est plus importante que le système de règle et que ce dernier doit toujours être au service de cette histoire.

Voilà un axiome tout simple que le système d20 nous avait peut-être fait perdre de vue avec ses listes de dons, ses conditions d'accès aux diverses classes de prestige, ses listes interminables de compétences et ses monstres en forme de tableaux de bord... L'old school et la nouvelle vague se rejoignent lorsqu'ils rejettent l'optimisation au profit de la narration.

Au lieu de pleurer la fin de l'OGL (qui survit d'ailleurs très bien sans D&D), nous devrions nous féliciter de la fin de cette hégémonie du d20 qui marquera peut-être le renouveau d'une diversité salutaire pour notre hobby.

vendredi 10 septembre 2010

Eurêka... j'ai pas trouvé.

“It's a dangerous business, going out your door. You step onto the road, and if you don't keep your feet, there's no knowing where you might be swept off to." Bilbo Baggins.

Nous voilà prévenus, nous qui sommes sur le point de prendre la route et de quitter Paris pour Orléans!

Après 17 ans passés dans notre belle capitale, je suis donc sur le point de retrouver la ville où eut lieu ma seconde naissance, il y a vingt ans de cela, le jour où je découvris l'existence du jeu de rôle.

Et bien sûr, ma première visite fut pour Eurêka. J'avais gardé de cette échoppe le souvenir d'un sous-sol sombre, empli de tomes aux couvertures aussi mystérieuses qu'évocatrices: les manuels d'AD&D, bien sûr, mais aussi la boîte de Féerie avec ses allures de coffre au trésor ou l'étrange livret qui promettait de nous révéler les Rêves des Dragons...

En guise de caverne d'Ali Baba, j'ai trouvé une boutique aussi lumineuse, fonctionnelle et chaleureuse qu'une charcuterie qui, comme la plupart de celles que j'ai visité en dehors de Paris et de Marseille, ne contient plus que quelques maigres rayonnages consacrés à notre hobby. Evidemment, ce serait bien pire si j'avais été fan de Wargames...

Bien sûr, je connais les raisons de cette disparition progressive des boutiques de JDR: développement de la vente par Internet (sous forme PDF et papier), multiplication des titres (et des éditions) peu propice à la bonne gestion des stocks, caractère toujours aussi aléatoire des sorties etc. Comme beaucoup de joueurs, j'ai une part de responsabilité dans cet état de fait puisque la plupart de mes achats se font aujourd'hui sur Internet (le fait que les suppléments que je recherche soient souvent vieux de 10 ou 15 ans n'arrange sans doute rien à la chose).

Mais ce sont moins les boutiques elles-mêmes que je regrette que l'espace de rencontre et de discussion qu'elles constituaient. A l'époque, il suffisait de pousser la porte d'un relais Descartes pour discuter pendant des heures des mérites de l'Unearthed Arcana, faire une partie de démonstration ou même recruter une équipe de nouveaux joueurs.

Je me suis longtemps demandé si la dilution de nos références dans la pop-culture (films, livres, MMORPG etc.), en nous faisant sortir du ghetto, ne nous avait pas également fait perdre ce sens de la communauté. Certes, il peut paraître paradoxal de le regretter après avoir tant déploré la diabolisation dont nous faisions l'objet (je me rappelle encore ma stupeur en apprenant rétrospectivement que ma mère avait appelé un psychiatre pour savoir si le JDR pouvait être considéré comme un passe-temps dangereux!!!). Et pourtant...

Pourtant, il y avait dans l'idée que nous étions "seuls contre tous" quelque chose d'exaltant. Qui n'a pas alors éprouvé un malin plaisir à multiplier les références obscures en présence de non-initiés? Qui ne s'est pas secrètement réjoui de l'aura sulfureuse qui nous entourait? Mais à l'heure de World of Warcraft et de la trilogie du Seigneur des Anneaux, notre passe-temps semble aussi dangereux et mystérieux que le Monopoly ou le Jeu de l'oie... Et parler d'elfes, de points de vie ou de sorts de troisième niveau n'a plus rien de cryptique.

Etait-ce une raison suffisante pour laisser nos boutiques, nos clubs, nos associations et nos tournois disparaître? Je ne le crois pas et j'en veux pour preuve le fait que, sur Internet, les réseaux de rôlistes n'ont jamais été si actifs. Il suffit de lire les pages de discussion sur RPGnet, de fréquenter les blogs des joueurs de l'OSR, de se rappeler l'émoi généré par la disparition (temporaire, dieu merci!) du GROG. Jamais on n'a autant parlé de JDR qu'aujourd'hui. Jamais on a autant échangé d'aides de jeu, de feuilles de personnage, de scénarios, d'illustrations et même de jeux gratuits.

Ce qui nous fait défaut, en fait, ce n'est peut-être pas tant le sens de la communauté que les structures qui lui permettraient de s'exprimer en dehors de la toile. Et si les boutiques ne sont plus le lieu naturel de cette résurrection, il ne tient qu'à nous de trouver de nouveaux espaces pour nous retrouver et partager notre passion pour ce hobby que je ne cesse de redécouvrir avec autant de fascination que lorsque je poussais le porte d'Eurêka, il y a vingt ans de cela...